Comédien ou acteur ? La question revient souvent, un peu comme un vieux refrain qu’on fredonne sans trop savoir d’où il vient. On l’entend à la radio, on le lit dans les journaux, on l’utilise sans y penser, parfois même dans la même phrase. Et pourtant, il suffit de s’y arrêter deux secondes pour que le doute s’installe : est-ce vraiment la même chose ? Ou y aurait-il, derrière ces deux mots, deux façons différentes de vivre son art ?
En France, on a longtemps glissé une nuance là où d’autres voient un synonyme : le comédien, c’est le théâtre. L’acteur, c’est le cinéma. Et puis entre les deux ? Il y aurait un monde. Ou plutôt une scène d’un côté, un plateau de l’autre. Une tradition, un écran. Une voix qui porte, une caméra qui capte un frisson.
Mais les choses ne sont jamais aussi nettes, surtout dans un métier où l’on joue justement avec les frontières, les émotions, les regards.
Alors on a eu envie, ici au Colisée, de s’y pencher un peu. De prendre ces deux mots qui nous accompagnent chaque saison et de les regarder à la loupe. Pas pour trancher, ce serait dommage, mais pour comprendre ce qu’ils racontent. De l’histoire du spectacle vivant, de la formation des artistes, et peut-être aussi… de ce que nous attendons, nous, spectateurs, quand la lumière s’éteint.
À l’origine des mots : action ou comédie ?
Commençons par le commencement. Les mots. Parce que derrière chaque mot, il y a une histoire, et parfois même une intention.
Prenons acteur d’abord. Il vient du latin actor, qui signifie tout simplement « celui qui agit ». Un mot large, presque passe-partout, qui désignait autant les plaideurs romains que les personnages des tragédies antiques. Autrement dit : c’est celui qui fait, qui incarne, qui agit dans le monde. Pas forcément pour faire rire. Ni forcément sur scène. Juste... quelqu’un qui prend un rôle et le joue, au sens propre.
Et puis, à côté, il y a comédien. Un mot arrivé plus tard, au XVe siècle, en lien direct avec la comédie, au sens théâtral du terme. Dans l’imaginaire collectif français, c’est souvent le comédien que l’on imagine sur les planches, en pleine tirade, dans un costume d’époque ou à la lueur d’un projecteur. L’artiste du théâtre, avec tout ce que cela implique : diction, posture, art du texte, et ancrage dans une certaine tradition.
C’est d’ailleurs à la Comédie-Française, fondée en 1680, que le mot comédien trouve sa majesté. Là-bas, on ne dit pas acteur. On entre en troupe comme sociétaire. Et ça change tout : le mot prend une valeur quasi patrimoniale. Il s’inscrit dans une lignée, une maison, un art avec un grand A.
Alors oui, au fond, les deux mots peuvent désigner la même chose. Mais ils ne résonnent pas pareil. L’un évoque le mouvement, l’autre la tradition. L’un s’adapte à tous les formats, cinéma, télé, streaming, réseaux sociaux, quand l’autre semble porter en lui l’écho d’une salle silencieuse, d’un public suspendu aux mots.
Et dans le brouhaha du monde actuel, ces nuances-là ne sont pas que des détails. Elles racontent comment on perçoit un métier, comment on le respecte, et parfois même comment on le transmet.
Scène ou écran ? Théâtre ou télé ?
C’est souvent là que tout se complique. On pense que le comédien joue sur scène, que l’acteur tourne pour l’écran. Comme s’ils travaillaient dans deux mondes séparés, chacun son domaine, ses règles, son public. Et pourtant…
Historiquement, cette idée a du sens. Le mot acteur s’est imposé avec l’arrivée du cinéma, quand il a fallu désigner ces nouvelles figures qui jouaient sans scène, sans applaudissements, mais sous l’œil d’une caméra. Pendant ce temps, le comédien restait l’homme ou la femme de théâtre, en prise directe avec la salle et ses silences.
Mais aujourd’hui ? Tout ça s’emmêle. On voit les mêmes visages à l’écran et sur les planches. Les formations artistiques intègrent aussi bien le jeu face caméra que l’interprétation scénique. Et le public, lui, ne fait plus vraiment la différence.
Le métier a changé. L’artiste aussi. Il passe du théâtre à la télévision, du court-métrage au stand-up, parfois même à une série sur Instagram. Ce n’est plus le support qui définit l’interprète, mais sa capacité à incarner. Ce qu’il donne à voir. À ressentir.
Alors oui, on continue parfois à opposer scène et écran. Mais dans la réalité, ce sont deux facettes d’un même art : celui de faire exister un personnage, de toucher quelqu’un, quelque part, que ce soit dans un fauteuil rouge ou devant un écran d’ordinateur.
Et au Colisée, on les voit tous passer. Des comédiens qui murmurent à 20 mètres. Des acteurs de cinéma qui retrouvent le goût du direct. Ce mélange-là, on l’adore !
Apprendre, jouer, incarner
Qu’on se rêve acteur ou comédien, il faut bien commencer quelque part. Cours Florent, Conservatoire, écoles nationales ou compagnies indépendantes… il existe mille façons d’apprendre à jouer. Et, très vite, une chose devient claire : la technique compte autant que la sensibilité.
Sur scène, il faut porter la voix, occuper l’espace, tenir une émotion en continu. Devant la caméra, tout se joue dans un souffle, un regard, un silence. Les deux disciplines se croisent, mais ne s’abordent pas de la même façon. L’important, c’est de savoir s’ajuster.
Et puis il y a cette fameuse question : faut-il ressentir ce qu’on joue, ou seulement le faire croire ? Diderot défendait le sang-froid du comédien. D’autres plaident pour une immersion totale. Delon “incarnait”, Belmondo “interprétait”. Deux approches, deux légendes. La vérité est sans doute entre les deux : maîtriser l’émotion sans s’y perdre.
Dans tous les cas, ce métier demande souplesse, endurance, humilité. Car derrière les lumières, il y a le travail. Beaucoup de travail. Et ce petit supplément d’âme qu’aucune école n’enseigne vraiment.
Un métier, mille réalités
On l’imagine souvent comme un métier de lumière. Mais derrière les projecteurs, il y a aussi les coulisses. Le quotidien. Les trajets, les répétitions, les auditions, les réponses qui ne viennent pas toujours. Le métier d’acteur ou de comédien, c’est aussi ça.
La plupart vivent sous le statut d’intermittent du spectacle. Un modèle à part, très français, qui alterne périodes d’emploi et périodes d’attente. Ce n’est pas une voie linéaire, mais une suite de projets, de rencontres, de défis à relever. Il faut savoir rebondir, s’adapter, ne pas se décourager. Et surtout : continuer.
Dans ce contexte, la polyvalence devient essentielle. Beaucoup se forment à la voix off, à la doublure, au cinéma, au théâtre, à l’impro. Certains ajoutent le chant, la danse, plusieurs langues. Plus on élargit sa palette, plus on crée d’opportunités.
C’est un métier exigeant. Mais c’est aussi ce qui fait sa richesse. Chaque rôle est différent. Chaque projet offre une nouvelle dynamique, un nouveau décor, un nouveau public. On passe d’un texte classique à une série contemporaine, d’un court-métrage intimiste à une grande scène nationale.
Et ce mouvement-là, cette diversité, c’est peut-être ce qui définit le mieux ce métier. Que l’on se dise comédien ou acteur, on fait le choix d’un art qui se vit dans l’instant, qui se renouvelle à chaque prise, chaque lever de rideau, chaque public.